Port-au-Prince – La scène paraît invraisemblable, presque insultante, mais elle reflète tristement la réalité haïtienne : même sous l’ombre du plus puissant bâtiment diplomatique du pays, celui des États-Unis à Tabarre, les gangs opèrent désormais sans la moindre retenue. Dans la nuit du 9 au 10 décembre, quatre personnes ont été brutalement kidnappées à l’intérieur même des installations de l’entreprise Capital Coach Line (CCL), située à quelques pas du gigantesque complexe américain.
Selon les premiers éléments recueillis, les ravisseurs ont littéralement percé le mur d’enceinte pour accéder aux lieux et enlever des occupants qui vivaient temporairement dans les installations. Cette entreprise, fermée depuis plusieurs mois à cause de l’insécurité, avait déjà vu toutes ses activités paralysées par les gangs. Comme si cela ne suffisait pas, une autre personne a été enlevée la même nuit dans un dépôt de boissons gazeuses du même secteur.
Ce nouvel épisode n’est pas seulement un drame de plus dans un pays rongé par la violence. C’est un symbole flagrant de l’effondrement total de l’ordre public, mais surtout de l’indifférence glaçante de l’Ambassade des États-Unis, qui observe ce chaos depuis ses murs renforcés, ses miradors et son appareil sécuritaire ultra-sophistiqué… sans jamais lever le petit doigt pour dénoncer clairement l’impunité ou soutenir réellement la population.
Comment expliquer que, à quelques mètres d’un complexe diplomatique disposant d’un niveau de surveillance parmi les plus élevés du pays, un commando armé puisse opérer aussi librement, creuser un mur, enlever plusieurs personnes, puis repartir sans être inquiété ?
Cette situation illustre un fait que de plus en plus d’Haïtiens dénoncent ouvertement : Washington n’a aucune volonté de peser sur la crise sécuritaire, encore moins de protéger ceux qui vivent autour de ses installations.
Les États-Unis, qui ne manquent jamais de publier des communiqués pour orienter la politique haïtienne, restent étrangement silencieux lorsque les Haïtiens sont massacrés, chassés de chez eux, ou kidnappés à quelques mètres de leur propre ambassade. Une passivité que beaucoup interprètent comme un mépris assumé, une froide indifférence à la souffrance de millions de personnes qui vivent chaque jour sous la menace des gangs.
Pendant ce temps, la vague d’enlèvements continue de s’étendre au-delà même du centre de Port-au-Prince. Plus aucun quartier n’est épargné. Plus aucune zone ne peut être considérée comme sécurisée. Et si des citoyens peuvent être enlevés à deux pas de l’ambassade la mieux protégée du pays, que reste-t-il comme espoir pour ceux qui vivent dans les zones abandonnées depuis longtemps par l’État et la communauté internationale ?
L’affaire CCL n’est pas seulement un cas de plus : c’est une preuve cinglante que l’insécurité, aujourd’hui, n’a plus de limite, et que l’Ambassade américaine, malgré son influence et ses capacités, ne bouge pas d’un millimètre pour empêcher cette dérive ou soulager une population livrée à elle-même.
Jean Louis FANFAN

