De graves irrégularités entachent la distribution des contrats de restauration destinés aux cantines de la Police nationale d’Haïti (PNH). Selon un rapport de commission consulté par AyiboPost, plusieurs entreprises bénéficiaires se révèlent inexistantes ou dépourvues de toute capacité technique pour exécuter les services pour lesquels elles ont été payées.
Les révélations font état d’un vaste réseau de sociétés fictives, de documents falsifiés et de connivences internes dans le processus d’attribution des marchés publics, estimés à plusieurs dizaines de millions de gourdes.
Des repas de piètre qualité et un mécontentement généralisé
Sur le terrain, les plaintes s’accumulent.
Un agent de la PNH dénonce le riz servi « de façon excessive, accompagné de sodas et de poulet importé », des repas jugés inadaptés, voire dangereux pour des policiers souffrant de diabète ou d’autres maladies chroniques.
Plus d’une demi-douzaine de policiers, issus de différentes unités, confirment à AyiboPost la mauvaise qualité des repas et l’opacité autour des fournisseurs.
Des entreprises invisibles ou disparues
La commission d’enquête a examiné les onze lots attribués dans le cadre de ces marchés.
Les huit lots contestés ont été remportés par :
Noisy’ Services Traiteurs, Saveurs Tropicales, Food et Cook, Au Plaisir des Saveurs, Le Régal, Spirale Gourmande, Itinéraires Gourmands et Club Gourmet.
Les trois autres lots ont été octroyés à Le Flamboyant, Le Fushia et Le Decorati.
Mais lors des visites de vérification, la commission n’a retrouvé aucune trace de quatre entreprises parmi les six visitées. Des habitants rencontrés sur les lieux ont affirmé que ces sociétés « n’ont jamais existé dans la zone ».
Food et Cook, Au Plaisir des Saveurs, Spirale Gourmande et Club Gourmet n’étaient pas localisables à leurs adresses officielles.
Plus surprenant encore, Le Régal, l’une des entreprises gagnantes, a fermé ses portes depuis 2021. Sa responsable, Joanne Jean, déclare n’avoir participé à aucun appel d’offres de restauration pour la PNH. Pourtant, un autre nom, celui de Marie Édith Pierre, apparaît sur les documents officiels comme « directrice générale » de cette entreprise.
Des documents falsifiés et des irrégularités flagrantes
Le rapport de la commission relève de multiples incohérences administratives :
- Documents manquants ou postdatés après la clôture officielle des offres (30 août 2024) ;
- Patentes et cartes d’immatriculation fiscale émises en octobre 2024, soit plus d’un mois après la date limite ;
- Récépissés de matricules fiscaux affichant des numéros consécutifs et la même date d’émission (16 octobre 2024) ;
- Plusieurs pièces délivrées au même bureau de la DGI, suggérant une fabrication concertée.
Les entreprises concernées par ces anomalies incluent notamment : Noisy’s Service Traiteurs, Saveurs Tropicales, Food et Cook, Au Plaisir des Saveurs, Le Régal, Spirale Gourmande, Itinéraires Gourmands et Club Gourmet.
Une sanction sélective dénoncée
Malgré l’ampleur du scandale, la Commission nationale des marchés publics (CNMP) n’a sanctionné que deux entreprises sur les huit mises en cause.
Cette décision a provoqué la colère de l’organisation Ensemble contre la Corruption (ECC), qui, dans un communiqué daté du 4 juin 2025, a fustigé la « complaisance et l’impunité » des autorités de régulation.
« Les irrégularités sont systémiques. Sanctionner seulement deux entreprises, c’est protéger un réseau entier de corruption », dénonce l’ECC dans son communiqué.
Un système opaque au détriment des policiers et du peuple
Entre faux dossiers, entreprises fantômes et absence de contrôle réel, ce scandale illustre la défaillance profonde du système de passation de marchés publics en Haïti.
Pendant que des sociétés fictives encaissent des millions, les policiers, censés garantir la sécurité du pays, mangent des repas de mauvaise qualité, au risque de leur santé.
Ce scandale autour des cantines policières n’est pas un simple dysfonctionnement administratif : il révèle une fois de plus les symptômes profonds d’un État défaillant, où la corruption et le népotisme se nourrissent de la misère collective.
Pendant que des entreprises fictives s’enrichissent grâce à des contrats truqués, les agents de la PNH, véritables piliers de la sécurité nationale, sont abandonnés à des repas indignes et à des conditions de travail humiliantes.
Cette affaire illustre tragiquement comment des fonds publics, censés améliorer la vie des serviteurs de la nation, sont détournés par une élite prédatrice et protégée par le silence des institutions.
Si aucune mesure exemplaire n’est prise pour sanctionner les responsables et réformer en profondeur le système des marchés publics, Haïti continuera d’avancer à reculons, prisonnière d’un cycle sans fin de corruption, d’impunité et de mépris pour le bien commun.
La justice doit désormais parler, et l’État doit prouver qu’il lui reste encore un souffle de dignité.
La Redaction.

