Un rapport explosif du Groupe d’experts de l’ONU, mandaté par la résolution 2653 (2022) du Conseil de sécurité, met en lumière l’implication présumée de plusieurs figures majeures de la politique et des affaires en Haïti dans le financement et le renforcement de gangs armés. Parmi les noms cités : l’ex-président Michel Joseph Martelly, l’homme d’affaires Reynold Deeb, l’ex-sénateur Youri Latortue et l’ancien député Prophane Victor.
Le document, transmis au Conseil de sécurité et à son comité sur Haïti, vise à alimenter les mécanismes de sanctions internationales, notamment le gel des avoirs et les interdictions de voyager contre les personnes impliquées dans des activités menaçant la paix et la stabilité du pays.
Reynold Deeb : le patron qui achète la paix
Importateur bien connu à la tête du Groupe Deka, Reynold Deeb est accusé d’avoir entretenu des relations étroites avec des gangs pour sécuriser ses activités commerciales. Déjà sanctionné par le Canada, il aurait, selon le rapport, payé des chefs de gang pour protéger ses cargaisons dans les ports, contourner les inspections douanières, et forcer l’ouverture de routes stratégiques lors du mouvement de protestation peyi lòk en 2019.
Il aurait même soudoyé des parlementaires qui, à leur tour, ont rétribué des groupes armés pour lever les barricades et assurer la circulation de ses marchandises, dans un contexte de pénurie nationale.
Prophane Victor : du bulletin de vote à la kalachnikov
L’ancien député Prophane Victor aurait lui aussi pactisé avec des criminels pour sécuriser sa carrière politique. Pour s’assurer sa réélection en 2016, il aurait armé des jeunes de Petite-Rivière-de-l’Artibonite, donnant naissance au redoutable gang Gran Grif.
Jusqu’en 2020, il aurait continué de financer ce groupe, accusé de graves violations des droits humains, dont des violences sexuelles. Après un désaccord avec les chefs du gang, il aurait ensuite changé de camp, soutenant des groupes rivaux dans la même région.
🧨 Économie de la peur : rançonner, voler, contrôler
Le rapport des experts ne se limite pas à la responsabilité des élites. Il décrit un modèle économique criminel désormais enraciné : extorsions, détournements de camions, rançonnage des entreprises, taxation arbitraire de la population pour des services inexistants.
Les routes nationales, en particulier autour de Martissant (RN2), sont devenues des zones de non-droit où les gangs imposent des « droits de passage » de 1 000 à 3 000 dollars par camion. Même les écoles et les églises ne sont pas épargnées.
un système mafieux au sommet de l’État
Ce rapport de l’ONU, s’appuyant sur de nombreux témoignages, sources confidentielles et vidéos, dresse un constat glaçant : des pans entiers du pouvoir haïtien ont, directement ou indirectement, nourri le monstre de l’insécurité.
Alors que la population subit chaque jour les conséquences de cette alliance mortifère entre politique, affaires et gangs armés, la question demeure : à quand la fin de l’impunité ?